Pénétrer dans le site classé SEVESO d’Orrion à Semoy n’est pas une expérience anodine. Passée la déclinaison d’identité au poste de garde, il faut visionner une vidéo qui explique l’ensemble des dangers potentiels et les comportements à adopter. On y apprend par exemple qu’avant de pénétrer dans la partie usine, il est nécessaire de passer par un procédé d’élimination de l’électricité statique accumulée dans votre corps ou vos vêtements, afin d’éviter la moindre étincelle susceptible d’enflammer un produit chimique. Ensuite, il s’agit de répondre à un questionnaire qui vérifie que vous avez bien tout compris, et si ce n’est pas le cas, vous restez à la porte. Et lorsqu’on vient vous chercher, faire un pas en dehors des zones indiquées implique un rappel à l’ordre. Salariés et managers respectent à la lettre ce protocole, et il est finalement rassurant de voir que ces sites industriels à hauts risques sont soigneusement protégés dans notre pays.
À la tête de ce lieu potentiellement inflammable, Christian Siest, 61 ans, ingénieur en génie chimique. L’homme a fait l’essentiel de sa carrière dans un groupe américain en Picardie, Rohm and Haas, entreprise basée à Philadelphie, avant de prendre la responsabilité de la production du site de Semoy en 2000, juste après son rachat par Rohm and Haas. Promu directeur en 2003, il va œuvrer jusqu’en 2010 pour améliorer l’organisation de l’usine en apportant notamment la culture des Américains, précurseurs en termes de sécurité dans cette branche de l’industrie.
À l’époque, le site de Semoy, siège européen, compte 150 salariés et fabrique des additifs pour l’imprimerie et des adhésifs pour l’industrie. Hélas, dès 2006, l’activité en baisse ne permettra bientôt plus de nourrir tous les effectifs : depuis l’irruption du digital, la fabrication papier ne cesse de chuter… Pour autant, durant toute la décennie, la transformation du site pilotée par Christian Siest se poursuit, soutenue par un investissement de dix millions d’euros. Mais en 2009, la famille Haas vend le groupe avec ses usines en Europe à Dow Chemicals, une autre multinationale située elle aussi outre-Atlantique. Problème, Dow possède déjà 35 sites en Europe et décide de fermer celui de Semoy, en transférant dans un premier temps 70 % de sa production en Italie. Sur les 30 % restant, seuls 80 % demeurent stratégiques à leurs yeux, mais pas au point de concevoir une autre usine en Europe. En parallèle du plan social, Dow demande donc à Christian Siest de trouver des sous-traitants. Mais, depuis 10 ans qu’il se donne à fond pour concevoir un site avec de belles infrastructures, Christian Siest comprend qu’il doit saisir cette opportunité…
D’abord convaincre les Américains
Le futur entrepreneur planche alors sur l’élaboration d’un projet, en gardant à l’esprit qu’il avait toujours souhaité créer sa propre société. Après tout, pour poursuivre cette production, pas besoin des marges d’un grand groupe, une PME suffira ! Commence alors la longue quête des partenaires et le passage obligé par la formation en gestion financière. En local, Orléans Métropole lui facilite la tâche : « Je partais d’une page blanche et ils m’ont orienté vers les bonnes personnes. Soutien moral, appui auprès des pouvoirs publics, discours positif, transparence et confiance, et cela continue encore aujourd’hui… »
À la faveur d’un article de presse, celui qui est aussi président de France Chimie de la région contacte Orrion Chemicals, tout juste créée, discute avec eux, s’entoure pour donner toute crédibilité à son plan d’action, et tout s’enclenche. Face aux Américains, Christian Siest va jouer sur toutes les cordes : expliquer que le démantèlement de l’usine et la dépollution des sols vont coûter une fortune, démontrer qu’un changement de site de production demandera 18 mois de requalification avant d’être opérationnel, alerter sur la démotivation des commerciaux, la fuite du personnel qualifié, la perte de clientèle, et calculer le coût exorbitant d’un tel transfert. Chiffres à l’appui, il démontre qu’il serait beaucoup plus pertinent que le site devienne le sous-traitant de Dow au sein d’Orrion Chemicals. Suggestion retenue…
Après divers montages juridiques complexes au sein d’un consortium, impliquant d’autres filiales à l’étranger, et permettant à tous de conserver une certaine indépendance, arrive en 2015 la crise de croissance classique qui rebat les cartes. Christian Siest réorganise le groupe et est investi président. En 2020, avec son Directeur général Christian Touzin, il effectue un « LMBO » (Leveraged Management Buy-out) pour accompagner ce nouveau virage.
Des années où les nuits de sommeil sont courtes, mais étrangement plus profondes. Première surprise au moment de la reprise, le nombre de candidats au départ, alléchés par la généreuse prime de licenciement : il a donc fallu… réembaucher ! Et encore aujourd’hui, le recrutement reste un problème majeur. Au point qu’OCO va peut-être d’embaucher un salarié de 67 ans, ravi de compléter ses trimestres.
Pour tenir, Christian Siest conserve son loisir favori, l’équitation, et plus précisément le saut d’obstacles, qu’il pratique en compétition. « C’est un sport qui équilibre, et même le vendredi lorsque je suis complètement crevé, j’y vais et je reviens la tête vide» ajoute ce père de deux enfants, marié à une femme aussi active que lui.
Mais au fait, que fabrique-t-on chez OCO ?
Des produits dont on ne soupçonne même pas l’existence, mais qui font néanmoins partie de notre quotidien. À savoir des agents démoulants, soit l’équivalent du beurre que l’on met dans son plat à tartes, mais destinés à démouler des pièces en mousse polyuréthane, telles que les sièges de l’automobile. Pour limiter l’impact environnemental et l’exposition des salariés, y compris chez ses clients, le laboratoire de recherche et développement élabore une gamme fabriquée à base d’eau au lieu de solvants.
Viennent ensuite les revêtements sur verre. Il s’agit d’un traitement qui améliore la résistance des bouteilles. Pulvérisé en toute fin de fabrication, il donne cet aspect brillant et surtout un glissant qui évite leur entrechoquement et une casse précoce pendant leurs transports. Désormais leader mondial sur ce segment, les cires d’OCO sont présentes sur 95 % des bouteilles de vins français. L’entreprise se distingue aussi dans les colles alimentaires. La section R&D a inventé des colles qui permettent de tenir à la stérilisation ou à la pasteurisation, sans pour autant se casser un ongle pour soulever l’opercule des pots de crème. Ils ont ainsi raflé une grosse partie du marché européen.
Et vous êtes vous demandé comment les agrafes tenaient les unes avec les autres pour former des barreaux ? Et pourquoi le tissu agrafé sur l’armature en bois de votre canapé résiste au temps ? Tout simplement grâce aux colles qui sortent de l’usine de Semoy, là encore leader mondial, même si le marché chinois reste encore à conquérir.
Enfin, le travail à façon occupe une place de choix dans l’activité, permettant de varier les plaisirs, tel que les adhésifs caoutchouc/métal sur les systèmes vibratoires, évitant ainsi que l’automobiliste sorte de son véhicule avec la tremblote. Seuls trois fabricants au monde sont capables de fabriquer de telles colles. Dans un style totalement différent, le patron d’OCO achève le mois prochain une nouvelle usine à Semoy pour fabriquer des tensio-actifs. Client : une start-up qui crée des produits pour le marché cosmétique.