Ingénieur en plasturgie de formation, après dix-sept années de progression professionnelle dans la même entreprise, Damien Lepeintre commence à s’interroger en 2018 sur le sens de ce qu’il fait. À quarante-cinq ans, décennie propice aux prises de conscience, il ne se projette plus dans l’univers industriel du luxe. Alors que faire pour construire une nouvelle vie en conciliant centres d’intérêt et crédibilité ? Le végétal l’intéresse, et présente l’avantage de résonner avec sa formation technique : comprendre les choses… À l’aube de ses réflexions, une nouvelle locution émerge dans le vocabulaire : Intelligence artificielle. Dans un magazine qui traite de ce sujet, il repère un article élogieux sur les micropousses, présentées comme l’eldorado, et trouve la photo d’illustration bien jolie. Damien est séduit par la beauté du produit, garde l’image dans un coin de sa tête, avant d’y revenir quelques mois plus tard. La meilleure façon de savoir si ces pousses sont réellement intéressantes, il faut les produire et aller voir les restaurateurs.
Economie - innovation , Environnement , Fleury-les-Aubrais
le 19/09/2024
La Ferme positive enrichit la palette de nos chefs cuisiniers avec ses micropousses
Que peut-il bien se passer dans la tête d’un homme, acheteur de flacons et d’emballages dans l’une des plus grandes industries de cosmétiques et de parfums, pour se lancer dans la production de tendres feuilles vertes ? Cette reconversion réussie se trouve certainement dans le nom même de l’entreprise, La Ferme positive, adjectif qui sied à son créateur, mais aussi à l’accompagnement de Terr’O, la couveuse agricole de la métropole.
L’Orléanais commence par fabriquer une serre de quinze mètres carrés dans son jardin. Il achète ensuite des graines en grande quantité auprès de semenciers qui fournissent les producteurs de graines germées biologiques. Il sélectionne les plus couramment utilisées et commence ses cultures. Ensuite, direction les cuisines des restaurants pour valider l’intérêt et vérifier qu’il ne s’agit pas d’un effet mode ou d’un gadget culinaire. Dans le centre-ville johannique, il distribue ses barquettes dans une dizaine de restaurants : « C’était très simple et direct. Cela me changeait de l’entreprise où tout est codé. L’accueil était chaleureux et globalement, ça a accroché. » Ironie du sort, son premier client sera pourtant le restaurant d’entreprise VIP d’une prestigieuse marque de cosmétique français, concurrent de son ex-employeur ! « Je ne connaissais rien à la restauration, mais je me suis senti plus à l’aise d’aller là-bas présenter ma production au chef. Il a immédiatement commandé dix barquettes ». S’enchaînent ensuite plusieurs restaurants, que Damien livre à vélo, porté par son esprit vertueux envers l’environnement. Rapidement, la petite reine ne suffit plus, et pour toucher les clients de toute la métropole, et même de Sologne, il faut se lier avec un distributeur. Pour autant, fidèle à ses premiers clients qu’il continue de livrer, il passe un deal avec son partenaire pour garder un contact direct avec tous les nouveaux. Ainsi, le chef d’entreprise informe en direct ses utilisateurs, et ceux-ci s’adressent à lui, sans passer par l’intermédiaire. Une proximité précieuse dans la relation commerciale.
Évidemment, la micropousse n’a pas été inventée par la Ferme positive. Le leader mondial est hollandais et diffuse ses produits depuis plusieurs années. Hormis l’aspect local, il a fallu se démarquer de ce gigantesque concurrent. Parmi les qualités des produits de la Ferme positive, les clients citent une meilleure conservation, des plants plus épanouis, un gout plus affirmé et un produit élevé dans la terre et non dans un substrat synthétique. Pour beaucoup de restaurateurs, cela répond à leur réserve sur l’emballage plastique et le tissu synthétique utilisé par la Hollande. Tous les plants du Français sont en effet livrés dès la sortie de serre, dans une barquette en bois et sur son terreau d’origine, sans pesticides.
Grâce à Terr’O, la couveuse agricole de la métropole, Damien Lepeintre a gagné un temps précieux dans l’élaboration de son projet : « Terr’O m’a permis de me concentrer sur l’essentiel, d’abord maîtriser le produit et ensuite aller voir les clients. Je n’ai pas eu à m’occuper de la partie administrative et comptable et je n’étais pas seul, je pouvais échanger et me former. »
Six années plus tard, la Ferme positive emploie un salarié et un alternant en formation et compte des étoilés parmi ses clients. La serre de quatre-vingt-dix mètres carrés louée à la ville de Fleury-les-Aubrais a atteint sa limite de taille et il devient difficile de répondre à la demande. Pleine à craquer, il faut jouer des coudes pour circuler entre les travées. Damien Lepeintre est donc à la recherche d’un deuxième lieu de production sur la métropole. Avis aux détenteurs de serre !
C’est quoi une micropousse ?
Il s’agit d’un mode de culture. À la base, ce sont des graines normales. La différence vient de leur densité à la plantation. Au contraire d’un maraîcher classique, le nombre de graines plantées sur une surface donnée est environ cent à deux-cents fois plus important. Ainsi, dans une barquette de la taille d’une main, quatre-vingts graines cohabitent, alors que dans un jardin, la règle est plutôt d’une graine tous les vingt centimètres. Résultat, les pousses ne peuvent pas se développer, ce qui convient au stade de croissance court, puisqu’au-delà d’un certain temps, elles s’étoufferaient. L’objectif étant d’obtenir des feuilles tendres, donc jeunes, en grande quantité. La « maturité » d’une micropousse est en moyenne de trois semaines et se situe après la graine germée et avant la jeune pousse.
Quel est son intérêt ?
Pour un cuisinier, les micropousses sont des alliées aromatiques qui présentent une large palette d’intérêts gustatifs. Imaginez des feuilles de céleri branche, de bourrache ou d’oseille qui auraient atteint leur pleine maturité. Disposées dans une assiette, elles impriment un gout fort, trop prononcé, parfois amer, et leurs textures peut-être désagréables. En revanche, la micropousse donne accès à des gouts subtilement parfumés au sein de petites feuilles tendres et fondantes. Sur des desserts par exemple, elles surprennent le palais, contrastent et mettent en valeur les autres ingrédients. Côté nutritif, certaines regorgent de bienfaits et sont parfois considérées comme des alicaments.
Envie de goûter ?
Vous ne trouverez pas de micropousses de la Ferme positive dans les magasins, mais plusieurs restaurants de la métropole et de la région les utilisent pour sublimer leur plat. Pour déguster les saveurs de l’oseille veinée, du shiso pourpre, du tagède mandarine, de la capucine, du fenouil ou autre moutarde rouge… Rendez-vous chez L’Hibiscus, Le Lift, les Becs à vin, La Table d’à côté, La Villa des Bordes, Le Grand Saint Benoit, Le Cot’s, Le Relais de Chambord, Le Pavillon bleu, L’hostellerie du château, Le Grand Sully, la maison Médard…
✏️ Laurence Boléat 📷 Natalia Shilo